La mort du philosophe britannique Hugh Mellor
Il était l’un des derniers représentants de la grande tradition de philosophie de l’université de Cambridge, où il a fait toute sa carrière de professeur. Il est mort le 21 juin, à l’âge de 81 ans
Par Pascal Engel Publié aujourd’hui à 10h26
Le philosophe britannique David Hugh Mellor, mort à Cambridge le 21 juin, s’était amusé à compiler et à diffuser sur Internet une liste des causes de la mort des philosophes en fonction de leur doctrine. Ainsi, il faisait mourir Spinoza par « abus de substance » et s’attribuait à lui-même la cause qui convenait à son thème de prédilection : « Par hasard »… David Mellor était l’un des derniers représentants de la grande tradition de philosophie de Cambridge, celle de William Whewell, de Bertrand Russell, de John McTaggart, de F. P. Ramsey, de G. E. Moore et de C. D. Broad, qui incarna au début du XXe siècle la philosophie analytique.
Né le 10 juillet 1938 à Londres, Mellor fit d’abord des études de chimie à l’université du Minnesota avant de présenter une thèse de philosophie à Cambridge et d’y accomplir toute sa carrière. Il n’aborda jamais les problèmes de la philosophie des sciences – ceux de l’induction, de la causalité, de la probabilité et de la relation entre théorie et expérience – sans chercher à développer leurs conséquences métaphysiques.
Pour lui, comme pour des Australiens – David Armstrong – et des Américains – David Lewis – la métaphysique n’est pas une construction spéculative mais, tout comme la science, une investigation de ce qui est réel, même si ce réel ne se limite pas, contrairement à ce que soutiennent les empiristes et les positivistes, à l’expérience.
La science indissociable des humanités
Hugh Mellor développa ce réalisme scientifique dans tous les domaines qu’il aborda. D’abord celui des probabilités, où il expose une conception propensionniste qui associe les probabilités à des dispositions physiques (The Matter of Chance, Cambridge University Press, 1971). Puis celui de la nature du temps, où il défend, contre McTaggart, la réalité du temps (Real Time, Routledge, Londres, 1981, édition révisée 1998) qui est constitué de relations d’antériorité, de simultanéité et de postériorité, et non pas d’un passé, présent et futur.
Ensuite dans le domaine de la causalité (The Facts of Causation, Routledge, Londres, 1995, aucun de ces trois livres n’a été traduit), où il soutient que les causes ne sont pas des relations entre événements, mais des faits, et en théorie de la décision, en proposant une conception objectiviste du choix rationnel. Enfin et surtout en métaphysique, où il défend un réalisme des universaux et des dispositions ainsi qu’un matérialisme sans compromis (Matters of Metaphysics, 1991, Mind, Meaning and Reality, 2012, les deux chez Cambridge University Press, non traduits).
Hugh Mellor prit nombre de ses points de départ dans l’œuvre de F. P. Ramsey, qu’on reconnaît aujourd’hui, malgré sa vie brève, comme l’un des plus grands philosophes analytiques du XXe siècle, sur lequel Mellor dirigea plusieurs volumes collectifs, et dont il publia des Philosophical Papers (Cambridge University Press, Logique, philosophie et probabilités, Vrin, 2003).
Article réservé à nos abonnés Lire aussi Polémique à Cambridge Jacques Derrida, docteur
Ramsey défendait des doctrines proches du pragmatisme du philosophe C. S. Peirce, très distinctes des conceptions relativistes et antiréalistes qu’on associe aujourd’hui à cette doctrine. Comme Ramsey, Mellor avait peu de patience pour ce qu’il tenait comme des formes de non-sens et d’enfumage en philosophie. Ses collègues britanniques et étrangers, qu’il recevait au Moral Sciences Club à Cambridge, se souviennent de son extrême gentilesse associée à un tempérament de fox-terrier en philosophie, traquant la moindre erreur. Parmi les philosophes qui furent ses têtes de turc, on compte Bergson et Derrida, à qui il souhaita – sans succès – refuser un doctorat honoris causa.
Mellor n’avait pourtant rien d’un austère scientiste pourfendeur de la déraison. La science était pour lui indissociable des humanités. Il pratiqua toute sa vie le théâtre shakespearien en amateur, jouant Macbeth, Prospero ou Ulysse dans Troïlus et Cressida. Auprès des nombreux Hamlet que compte la philosophie, il aimait jouer le loyal Horatio, mais il était l’une des figures centrales.
Hugh Mellor en quelques dates
10 juillet 1938 Naissance à Londres
1972 « The Matter of Chance »
1991 « Matters of Metaphysics »
21 juin 2020 Mort à Cambridge
Pascal Engel (Ecole des hautes études en sciences sociales)